Comment prévenir l’insécurité linguistique

Article de Parenthèse publié le 29 octobre 2019, dans la catégorie Transmission linguistique

Par Suzanne Robillard, doctorante en sociolinguistique à l’Université d’Ottawa

 

Quand on sent que notre façon de parler est «inférieure», quand on est gêné de s’exprimer en français, ou quand on cherche constamment la «bonne» façon de parler, on souffre d’insécurité linguistique.

C’est un problème qui affecte particulièrement les communautés minoritaires parce qu’en plus du manque d’occasions pour utiliser son français, on peut ressentir cette insécurité chaque fois qu’on ouvre la bouche.

En tant que parent, que puis-je faire pour empêcher que mon jeune vive un tel sentiment face au français? Et que faire si je le ressens moi-même?

Nous vous suggérons ici trois stratégies afin d’éviter de provoquer l’insécurité linguistique, tant chez soi-même que chez son enfant.

 

1. Encouragez le français informel plutôt que le français des livres de grammaire

La langue qui est acquise dès la naissance, ce n’est pas le français qu’on retrouve dans la grammaire Grevisse. L’enfant apprend sa langue maternelle selon le modèle linguistique que fournissent ses parents, et au foyer, on utilise un français informel qui en général ne suit pas toutes les règles grammaticales à la lettre!

Ce français informel, c’est ce que les linguistes appellent le vernaculaire, et la science linguistique démontre que le vernaculaire est gouverné par des règles complexes mais qui existent sous le niveau de la conscience.

Chaque communauté suit des règles un peu différentes, et le partage de ces règles vernaculaires renforce la solidarité communautaire. Ainsi, en encourageant le vernaculaire, on contribue en fait au maintien du français.

 

2. Ouvrez-vous au changement linguistique

La langue subit constamment des changements – après tout, les règles grammaticales qu’on respecte aujourd’hui ne sont pas celles qu’on suivait il y a 400 ans. Le changement linguistique est naturel et nécessaire : sans changements, la langue devient figée et éventuellement, elle stagne.

Les changements sont parfois si subtils qu’ils passent inaperçus, mais d’autres fois on les remarque et on peut s’imaginer que ce sont des erreurs – surtout si ces changements sont plus fréquents chez les jeunes et s’ils vont à l’encontre des règles de la grammaire traditionnelle. Une langue qui évolue, c’est une langue qui est en bonne forme.

 

3. Évitez la correction explicite du vernaculaire

On a souvent tendance à vouloir « enseigner » directement un « bon » français, mais cette approche peut avoir l’effet inverse de celui qu’on recherchait. Le français qu’on trouve dans les grammaires est fait pour être enseigné, mais le français naturel et spontané ne se plie pas très facilement à la correction.

Critiquer le français spontané de quelqu’un, c’est un peu comme critiquer sa façon de marcher. Quand on marche, on n’est pas en train de réfléchir consciemment à la position de nos bras ou de nos jambes; toutefois, dès qu’on nous fait un commentaire à ce sujet, on devient hypersensible à notre démarche.

C’est la même chose pour la langue. Réfléchir constamment à notre façon de parler, ça mène éventuellement à des insécurités linguistiques. Par conséquent, au lieu de le corriger, soyez un modèle linguistique pour votre jeune – et ce, tant pour le vernaculaire que pour le français plus soutenu, nécessaire dans certains contextes.

En fin de compte, les idées reçues sur le français parlé – que le français des livres de grammaire est l’« idéal », que les changements qui transforment la langue peuvent mener à son déclin, et qu’on devrait corriger le français informel – peuvent entraîner plus de mal que de bien. Pour éviter l’insécurité linguistique, il faut simplement laisser la langue suivre son chemin de façon naturelle.